Il faut-il reprocher aux voyageurs noirs de voyager en dehors de l'Afrique ?

Les voyageurs noirs et l’Afrique #7


Lundi soir le tweet du Camerounais @chat_pote a fait polémique dans la communauté noire sur le réseau social Instagram après avoir été re-publié par BieYoutube. En effet, dans ce tweet, celui-ci s’est adressé de manière injonctive aux Noirs qui voyagent dans tous les pays du monde, qu’ils soient en Europe, en Asie, aux Amériques sans avoir mis le moindre pied en Afrique. À la suite de cela, il s’est interrogé à de nombreuses reprises sur le projet de ces personnes, et sur si ces personnes comptaient finir leur vie sans jamais avoir su d’où elles venaient. C’est pourquoi, j’ai décidé de réagir et de donner des analyses et des explications à ce phénomène qui poserait problème.

Sommaire :

I. La mauvaise image donnée au continent africain
II. La question financière : le coût des voyages
III. Les personnes voyagent là où elles veulent (+ danger du communautarisme avec le « buy black »)


I. La mauvaise image donnée au continent africain

Mauvaise image de l'Afrique pour les voyageurs noirs : Un bidonville à Kibera au Kenya. La pauvreté reste un défi en Afrique. Photo: AMO/Colin Walker
Un bidonville à Kibera au Kenya. La pauvreté reste un défi en Afrique. Photo: AMO/Colin Walker

Premièrement, sans surprise, ce qui a contribué à la fortification de ce phénomène, c’est les mauvaises images du continent africain qui nous ont été présentées et représentées par les médias traditionnels occidentaux, et par les manuels scolaires depuis tout petit. Tout cela ne donne clairement pas envie d’aller visiter le continent même si, c’est l’endroit dans lequel nous sommes tous issus. Je me souviens que lorsque j’étais en primaire, collège et lycée, les seules fois où l’on a abordé le sujet de l’Afrique, c’était d’une part en histoire pour parler très succinctement de l’esclavage et de la colonisation avec le commerce triangulaire et d’autre part, en géographie pour parler des pays les moins avancés au monde, des pays avec les IDH les plus faibles de la planète, une zone où règne la famine, la maladie, les conflits et des pays où les flux de capitaux mondiaux sont aux abonnés absents.

Toutes ces caractéristiques réunies ne mettent clairement pas en valeur l’Afrique. D’autant plus qu’en sortant du champ scolaire, ce qui était montré par les médias, c’était les nombreuses guerres locales et civiles, le climat d’insécurité dû au terrorisme dans certaines régions d’Afrique subsaharienne. Mais encore, dans certains documentaires (que beaucoup affectionnent), l’image qui est montrée n’aide pas aussi. Ils s’accoutument à montrer une équipe de tournage occidentale partant en excursion dans des villages africains pour y apprendre le fonctionnement et la culture. Alors que nos pays regorgent de richesses et de zones beaucoup plus urbanisées, mettant davantage en avant le pays en question, et par conséquent le continent dans un autre spectre que celui du continent non civilisé, dans lequel la présence occidentale est nécessaire à son épanouissement et à son développement.

Ville intéressante pour les voyageurs noirs en Afrique
Image de la ville de Prétoria en Afrique du Sud

Deuxièmement, et ça c’est clairement ma situation. Nos parents, quand ils sont venus en France, c’était pour fuir la misère en Afrique, mais aussi pour fuir les guerres civiles interethniques, ce qui peut être ignoré par ces personnes. C’est le cas de nombreux Congolais de Brazzaville, de Kinshasa, de Centre-africains etc. Par contre, je ne sais pas si c’est le cas de Maliens et Sénégalais également. Néanmoins, une chose est sûre, nos parents ne sont pas venus en France pour faire du tourisme parce que l’Afrique c’était trop beau mais ils en avaient fait le tour.

À titre personnel, l’image que mes parents m’ont donné du Congo avec les divers problèmes politiques et ethniques ne me donnent pas du tout envie d’aller au Congo, d’autant plus que je porte le même nom de famille qu’un opposant politique congolais « tué » pour son rôle. Ainsi, je ne veux prendre aucun risque pour ma sureté personnelle, surtout que le projet et la vision que j’ai du Congo et de l’Afrique en général diffère de ce qui a été fait par l’Administration Sassou depuis 1979.

II. La question financière : le coût des voyages

C’est un point très important qu’il ne faudrait pas négliger pour comprendre ce phénomène. L’internaute en question se plaint que les africains aillent partout sauf en Afrique, mais c’est normal, si on considère le coût des billets pour s’y rendre. Pour y aller c’est minimum 700-800€ l’aller-retour, par personne et en haute saison, ce prix peut monter jusqu’à 1 300-2 000€ par tête. Ca n’a absolument rien à voir avec les tarifs pour voyager dans les pays régionaux tels que l’Espagne, l’Italie, le Pays-bas et l’Angleterre. D’ailleurs, j’ai même comparé pour vous sur le site d’Air France à date fixe (vendredi 10 décembre), le prix d’un vol aller simple pour plusieurs destinations et le constat saute rapidement aux yeux.

Question financière : Comparatif du prix des vols Air France entre Europe, Afrique, Asie et Amérique latine pour les voyageurs.

Comme vous avez pu le voir, les destinations africaines et sud-américaines sont de loin les plus coûteuses au monde. Et encore, ce n’était que les prix en décembre, mais imaginez le prix de ces destinations l’été. Chose également importante, il faut prendre en compte le coût de la vie locale, la location (si vous n’êtes pas hébergé par de la famille), le déplacement et les activités, sans compter les frais supplémentaires si vous y allez en famille, la somme finale sera terriblement chère.

Un autre point que le Japon en Noir et Blanc a très bien souligné dans sa vidéo, c’est que les Africains vivants en Occident ne sont pas non plus les personnes avec les plus grands moyens financiers. Ne nous mentons pas à nous-mêmes, même s’il est vrai que beaucoup s’en sortent et ont les moyens de se payer ce qu’ils veulent, il demeure tout de même une large partie de personnes ne disposant pas des fonds suffisants pour partir en vacances d’une part, et quand elle part, elle restent en France ou elles restent en Europe. Rappelons quand même, que 66,4% des Français qui voyagent reste au sein de l’Europe.


III. Les personnes voyagent là où elles veulent (+ danger du communautarisme avec le « buy black »)

Enfin, ici, nous verrons que les gens peuvent faire ce qu’ils veulent de leur argent, il n’y a pas de devoir ni d’obligation de le dépenser au profit de la cause noire. Ce que l’auteur du tweet a voulu dire indirectement, c’est que les Africains devraient retourner en Afrique, le continent de leurs ancêtres, plutôt que d’aller se perdre dans les autres continents.

Moi je pense, que c’est une très bonne chose de retourner en Afrique, ne serait-ce même que pour voir sa famille, voir l’endroit où les parents ont grandi et découvrir le continent dans un autre angle que celui qui est diffusé par les médias, et dans les manuels scolaires. Néanmoins, il peut exister un côté malsain dans tout ça, et c’est ce que j’ai relevé dans certains commentaires de la publication. Effectivement, certaines personnes se sont permises de juger les autres Noirs et comme d’habitude, c’est parti dans la critique et dans la dénonciation de celui qui ne fait rien ou pas assez pour le continent africain. Cette chasse aux sorcières perpétuelle qui ronge les Africains de l’intérieur. Connaître ses origines, c’est une chose, mais voyager exclusivement en Afrique parce qu’on est noir et qu’on se doit de le faire pour la communauté, c’est abusé !

Black entrepreneurs (initiation au buy-black) et communauté noire
Black entrepreneurs

Ce débat, c’est le même que ceux qui veulent consommer uniquement noir ou uniquement africain à travers les Black-owned businesses. Ce que je vais dire ne va certainement pas plaire à certaines personnes, mais moi je ne pense pas que ce soit une bonne idée. La plupart des mouvements pour la cause noire sont nés aux Etats-Unis et non en Afrique, il faut se poser les bonnes questions. Il faut comprendre que la société américaine n’est pas la même que la société française et elle n’est clairement pas comme les sociétés africaines. La société américaine, c’est une société profondément malade dans laquelle les communautés n’ont jamais su vivre ensemble. Résultat des courses, ils vivent chacun dans leurs zones, les Asiatiques, Afro-Américains, les Latinos, les White Americans ne vivent pas ensemble. De plus, la communauté afro-américaine est considérée comme inférieure aux autres, ce qui renforce la scission de la société américaine et qui leur donne envie de se renforcer socialement à travers l’économie. C’est pourquoi, dans ce type de société communautaire, je peux comprendre l’existence de Black-owned businesses et l’appel massif à la consommation de ses produits-là. Mais ici, en France le cadre de vie n’a rien à voir, consommer noir à la rigueur ça pourrait passer dans la mesure où si quelqu’un de la communauté propose un produit que j’achetais déjà d’une grande entreprise française, là je pourrai me permettre d’acheter ses produits. Cependant, si c’est comme certaines personnes le conçoivent c’est-à-dire, vivre en communauté, se marier qu’entre nous, consommer que nos produits, créer des écoles entre noirs, des entreprises entre noirs, des magasins pour noirs, cela revient à créer une sorte de société parallèle, dans laquelle on se devra de faire parti, mais moi j’appelle cela une secte, et c’est contraire à mes valeurs.

Comme j’ai pu le dire en échangeant avec certaines personnes dans l’espace commentaire sur insta, nous ne devrions pas tomber dans le même piège que les Asiatiques, Juifs, Hindous etc. Nous vivons dans une société pluriculturelle, dans laquelle chacun de nous est libre de faire ce qu’il veut, et dans laquelle chacun vit (du moins devrait vivre) avec les autres en acceptant les différences.

En tout cas, dites-moi dans les commentaires ce que vous en pensez, devrions-nous consommer uniquement noir et créer un communautarisme économique et politique ? Ou est-ce que vous pensez comme moi, et que vous considérez que c’est une voie dangereuse et non adaptée aux sociétés non-anglo-saxonnes ?

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